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Les activités financières sont elles toutes socialement utiles ?

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Entretien avec Edouard Tétreau

Président du groupe de travail "Finance" de l'Institut Montaigne, 4 février 2010

Selon vous les activités financières sont elles toutes socialement utiles ?

J’aimerais commencer par une analogie. En hébreux, l’une des plus vieilles langues du monde, un même mot « dam » et son pluriel « damin » signifient sang et argent. Il y a une véritable analogie entre le corps humain et le corps social. Le manque d’argent et c’est l’anémie ou la mort, la non-irrigation et c’est la gangrène, l’argent circule trop vite et l’organisme ne suit plus… L’argent n’est pas là pour être accumulé à un endroit du corps social ! La finance utile est celle qui permet de distribuer l’argent aux bons endroits, idéalement partout, au bon rythme.

Les activités financières sont-t-elles toutes utiles ? évidemment non ! En particulier, le « prop trading » est une déviation extrêmement grave du métier de la banque, où commence-t-il où s’arrête-t-il ? pour le trader la partition est difficile entre intervention pour compte propre et pour l’entreprise. C’est une forme d’institutionnalisation du délit d’initié !

Qu’entendez-vous par l’institutionnalisation du délit d’initié ?

Très concrètement, à moins d’avoir confiance dans le chineese wall des banques d’affaires, un soupçon permanent pèse sur ces banques. Ce sont les même traders qui traitent les ordres de couverture des entreprises et qui traitent pour compte propre utilisant les informations qu’ils détiennent de leurs clients pour se positionner éventuellement sur les mêmes marchés. Il faut en finir avec le soupçon permanent qui abîme la réputation des banques d’affaires.

Alors, êtes-vous plutôt favorable à une forme de Glass-Steagall Act ou à la mise en place de la Volker Rule ?

A l’Institut Montaigne, nous ne plaidons pas pour le Glass-Steagall Act car nous ne sommes pas favorables à la séparation de la banque commerciale et de la banque d’investissement qui sont toutes deux nécessaires à l’entreprise. Nous pensons aussi que la Volker Rule proposée tout récemment par l’administration Obama qui interdirait de sponsoriser et de financer le Prop Trading , les Hedge Funds et le Private Equity, est trop générale.

Est-ce votre seule réserve ?

Non, pour l’Institut Montaigne il est inacceptable de mettre dans le même sac l’industrie du Hedge Fund, et celle du Private Equity. La ligne de démarcation, c’est l’interdiction absolue d’utiliser les dépôts des épargnants particuliers et des entreprises pour spéculer pour compte propre. Mais le Private Equity c’est, en français, l’investissement dans le non côté. L’interdire aux banques, c’est leur interdire de financer l’entreprise à long terme par l’apport en capital. Or le problème ce n’est pas d’interdire le financement dans le non côté, le problème c’est comment on investit dans le non côté.

Ce sujet doit donner lieu à une véritable réflexion et à la mise en place de règles efficientes définissant le niveau d’effet de levier et la durée de l’investissement.

Plus concrètement quelles mesures préconisez-vous pour favoriser le financement des entreprises ?

Il y a trois mesures techniques et une attitude.

-       L’incitation fiscale

Cette première mesure est basée sur la mise en place d’une taxation différenciée en fonction des activités: sur le Prop Trading une taxation de 60% à 80% sur les bénéfices, sur les activités de banques commerciales une taxation plus basse de l’ordre de 25%, enfin 0% sur les bénéfices des banques qui alloueraient, en période de sortie de crise, des fonds aux entreprises.

-       La contrainte réglementaire

Cette seconde mesure tient à l’exigence de capitaux propres différenciée et croissante pour les activités de spéculation.

-       Le régulateur

La régulation, de manière non différenciée, est contre productive. Nous ne voulons pas d’une régulation à l’américaine « check the box », d’ailleurs à titre anecdotique, Enron remplissait toutes les cases de la check list du régulateur. Nous voulons une régulation intelligente et compréhensible, nous voulons des régulateurs proches de leurs régulés.

Il ne s’agit pas de faire une nième régulation. Il faut donner des moyens accrus aux actuels régulateurs. Je suis pour le doublement, le triplement, le quintuplement de leurs budgets de fonctionnement.

Le budget de fonctionnement de l’AMF c’est environ 30M€ par an, c’est à mettre en face des enjeux, c’est la même chose pour le Pôle Financier.

Un jour, il faudra créer une AMF « mondiale » mais, et c’est ma crainte, il  faudra passer par une autre crise bancaire.

-       L’attitude

Enfin, la dernière réponse, au risque de paraître politiquement incorrect, est d’arrêter de diaboliser les banques si l’on veut qu’elles jouent pleinement leur rôle.

Regardez le système bancaire français, ce dernier a tenu, les banques françaises ont une tradition de prudence. Il faut retrouver un contrat de confiance entre les entreprises, les particuliers et les banques.

La clé, c’est que les entreprises du CAC 40, les PME soient davantage actionnaires de leurs banquiers. Cela évitera probablement à ce dernier de prendre des chemins de traverse regrettables et cela l’encouragera à travailler au service exclusif de ses clients.

Le contrat de confiance du 21ème siècle existe, c’est celui des sociétaires, des banques mutuelles.

Comment favoriser aussi des formes d’actionnariat pérenne ?

Pour moi c’est une hérésie de rémunérer de la même façon ou de donner les mêmes droits de vote ou droits à dividendes à un actionnaire qui est présent depuis 15 jours et à celui qui est présent depuis 15 ans. On favorise ainsi l’investisseur zappeur !

Sur l’actionnariat j’ai une idée très simple, il y a une originalité dans le capitalisme d’Europe continentale qui s’appelle le mutualisme, le coopératif, qui s’appelle ne pas avoir des actionnaires mais des sociétaires. Quand votre client devient votre actionnaire, son intérêt est aligné sur le vôtre et ce, dans la durée…..

Est-ce là selon vous la forme moderne de l’actionnariat ?

Oui, sans aucun doute et ce n’est pas un hasard si la 5ème banque mondiale, le Crédit Agricole, est mutualiste.

L’Europe peut-elle être seule à la promouvoir ?

Cette option n’est pas celle des Etats-Unis, mais il faut arrêter de tout attendre d’eux. L’Institut Montaigne plaide pour que la France et Allemagne constituent une place boursière commune avec des règles de marché qui défendent d’avantage le capitalisme mutualiste. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce dernier est né des deux côtés du Rhin dans cette région qui est l’intersection de la France et de l’Allemagne.

A ce propos, que pensez-vous de l’initiative prise par certaines grandes entreprises qui veulent créer leur propre banque coopérative ?

C’est un très bon exemple, très intéressant, c’est le contraire du modèle de banque courtier ou passeur de risque et je souhaite que leur projet aboutisse, je leur dis « good luck ». 

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