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Les assureurs, nouveaux banquiers des entreprises ? le 31 mars 2015

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A cette question tentait de répondre la conférence organisée par HEC Finance d'entreprise le 31 mars dernier, en partenariat avec le Cabinet Deloitte.
Pour Olivier Magnin, Responsable Debt & Capital Advisory chez Deloitte, un "placement privé" se définit comme "…la levée d'une dette auprès d'un nombre très restreint d'investisseurs, soit sous forme d'obligations, soit sous forme de prêt."  Les souscripteurs ont une optique de conservation du prêt jusqu'à son échéance ("Buy and hold"), n'exigent pas de notation de l'emprunteur. Les montants levés s'échelonnent entre 10 et 150 millions d'euros par opération. Une tendance à la diminution des tailles se manifeste au vu des dernières opérations : alors qu'il y a un an les montants tournaient autour de 130 millions d'euros par opération, les plus récentes se situent autour de 60 millions d'euros.  Cabinet Deloitte a procédé pour son propre compte à un placement privé en euros ("Euro-PP") : avec un chiffre d'affaires de 900 millions d'euros, il se présente comme une ETI disposant de revenus récurrents et d'une bonne visibilité de ses cashflows, et qui s'est développé par acquisitions successives. Jusqu'alors, ...

le Cabinet s'était financé sous forme de crédits bilatéraux obtenus de différentes banques à des conditions variables, et d'une durée moyenne de deux ans et demi. Au regard du projet, le Cabinet se trouvait confronté à une contrainte particulière : n'être commissaire aux comptes d'aucun des prêteurs, ni au moment du lancement, ni pendant la durée de l'emprunt. Après examen des avantages respectifs des deux structures possibles (émission obligataire ou crédit), c'est en définitive la forme d'un prêt désintermédié qui a été retenue. Les prêteurs ont regroupé, d'une part la banque arrangeuse, qui a conservé une fraction significative de l'opération pour son compte propre, et d'autre part des assureurs. Le montant levé a été de 40 millions d'euros à sept ans in fine, avec des "covenants" aux effets les plus souples possibles : pas d'exigibilité automatique, mais un rehaussement ("step-up") de taux ; pas de clause de défaut croisé ("cross default"), mais une clause de "cross acceleration". Le processus s'est déroulé sur moins de huit semaines. Le point de vue des assureurs prêteurs a ensuite été exposé par Nicolas Denojean, responsable des investissements chez Natixis Assurance, compagnie de taille moyenne (douzième acteur français), gérant environ 35 milliards d'euros d'actifs.
Lorsqu'en 2012 les premiers projets d'Euro PP ont été présentés, les assureurs ont été confrontés à une double difficulté :
d'une part, en terme d'organisation interne : les équipes avaient l'habitude d'analyser les propositions d'émissions obligataires classiques cotées ; mais elles n'étaient pas nécessairement outillées pour apprécier les opérations d'emprunteurs de taille plus petite et beaucoup moins connus du marché ;
d'autre part, et surtout, vis-à-vis de la réglementation de la profession, qui, par exemple, limitait à 1% des actifs les investissements en prêts non cotés.
La Caisse des Dépôts et Consignations et la Fédération française des Sociétés d'Assurance ont donc constitué un groupe de travail réunissant les grands acteurs de la place, en vue de proposer au Trésor une réforme du Code des assurances destinée à favoriser le développements des Euro PP : la réforme souhaitée est intervenue mi-2013, donc sans attendre l'entrée en vigueur, en 2016, de la règlementation européenne Solvabilité 2, qui, en tout état de cause, obligera à une remise en cause complète des limites par strates de catégories d'investissements qui caractérisent le Code français. Pour sa part, Natixis Assurance a commencé en novembre 2013 à s'intéresser aux émissions obligataires non cotées. L'Euro PP étant accessible à tous types d'émetteurs et toutes formes d'émissions, il a fallu mettre en place des équipes spécifiques pour gérer ce type de dossiers et un process particulier de décision. L'investissement peut en effet se faire "en direct", nécessitant des contacts spécifiques avec l'émetteur pour l'accomplissement des diligences préparatoires et la négociation des conditions : la compagnie s'est dotée à cet effet d'analystes de crédit issus, pour beaucoup, de la profession bancaire. L'investissement peut aussi être réalisé indirectement, via des gestionnaires d'actifs : dans ce cas, un suivi attentif des opérations est néanmoins nécessaire.
Dans ce type d'opérations, trois éléments jouent un rôle clé :
- le dialogue avec l'émetteur : généralement, il connait mal les usages de la communauté financière, et souvent c'est avec le manager fondateur de l'affaires lui-même qu'il faut dialoguer ; investisseur de long terme, il s'agit de se présenter comme un partenaire avec qui un dialogue véritable peut et doit se nouer, sur la base d'une relation spécifique, différente de celle prévalant avec le banquier traditionnel de l'affaire ;
- la relation avec la banque arrangeuse : très souvent, il s'agit de la banque habituelle de l'émetteur ; il faut de lui faire comprendre que l'assureur n'est pas là pour se substituer à elle dans le courant d'affaires quotidien ;
- enfin, dans le cas des investissements indirects, la relation avec les sociétés de gestion : une bonne connaissance de leurs mandats, de leurs procédures de sélection et de gestion des investissements est nécessaire, ainsi qu'un processus de surveillance de leurs opérations.
Finalement, l'intérêt de ce type d'opérations est de permettre aux assureurs une diversification des risques, à travers des émetteurs ne correspondant pas aux critères classiques, et à qui l'on peut faire payer une prime d'illiquidité.

Cécile Mayer-Levi, Responsable de l'activité Private Debt au sein de TIKEHAU IM, et en charge de la gestion du fonds NOVO 2 a quant à elle dressé une cartographie des entreprises candidates à ces modes de financement. TIKEHAU se présente comme une société de gestion spécialisée sur les sujets de financement au sens large, dans lesquels elle entend jouer un rôle d'intermédiaire entre emprunteurs et prêteurs. C'est dans ce cadre qu'elle gère le compartiment dit "NOVO 2" du fonds NOVO. Le fonds NOVO a été créé à l'été 2013 à l'initiative de la Caisse des Dépôts et Consignations dans l'idée de drainer une partie des fonds de l'assurance-vie vers le financement des PME/ETI. Ceci, à un moment où les banques se trouvaient contraintes, suite à la crise de 2008, et dans la perspective de l'entrée en vigueur de la règlementation Bâle 3, de restreindre leurs octrois de crédit. Doté de 1,3 milliard d'euros de capacité d'intervention émanant des plus grandes compagnies d'assurances de la place, sa gestion a été confiée pour les deux tiers à BNP-Paribas Investment Manager, et pour le tiers restant à Tikehau.
Les entreprises candidates doivent répondre à des critères relativement précis :
- avoir un chiffre d'affaires compris entre 50 millions et 1,5 milliard d'euros ;
- avoir un levier d'endettement inférieur ou égal à 3,5 fois l'EBITDA ;
- et, une fois réalisée l'intervention du fonds NOVO, ne pas dépendre de celui-ci pour plus de 35% de leur financement total.
Ces conditions étant remplies, les candidates prometteuses peuvent obtenir des financements longs (5 à 7 ans de maturité) destinés soit à leurs investissements de développement, soit à leurs projets de croissance externe. A l'origine, la réglementation ne permettait pas d'octroyer de tels crédits aux holdings, afin d'éviter qu'ils ne soient employés dans le cadre d'opérations de LBO : un assouplissement est toutefois intervenu en décembre 2014 pour permettre le financement de holdings têtes de groupes déjà constitués. A ce jour, le compartiment NOVO 2 est investi à près de 70% à travers une douzaine d'opérations, en général en complément d'un Euro PP ou d'un prêt syndiqué classique. L'une des préoccupations majeures des emprunteurs est celle de diversifier leurs sources de financement : les restrictions de crédit nées de la crise de 2008 ont servi de révélateur du caractère éventuellement cyclique des soutiens bancaires ; nouer des partenariats avec des investisseurs de long terme constitue à cet égard un important facteur de stabilité.

L'opération MK2, présentée par Caroline Baurez, Directeur Administratif et Financier, s'insère précisément dans un schéma de ce type.
Créée en 1974, MK2 est une PME familiale générant 40 à 60 millions d'euros par an de chiffre d'affaires et un EBITDA récurrent d'une douzaine de millions d'euros. La société détient un catalogue de 400 films internationaux, et représente 18% du marché national des salles de cinéma (troisième réseau de salles parisien). Jusqu'à l'intervention du fonds NOVO, elle s'était financée par crédit-bail (pour l'édification des salles) et crédits syndiqués gagés sur les films du catalogue. Fin 2012, en vue d'assurer une meilleure stabilité de ses cashflows, elle a abandonné ses activités trop cycliques de production et distribution de films, pour se concentrer sur ses trois métiers principaux : l'exploitation de salles de projection, l'enrichissement du catalogue, et l'agence de communication. Une restructuration juridique a accompagné ce recentrage, avec la mise en place d'une holding chapeautant trois filiales dédiées chacune à l'un des trois pôles. Parallèlement, un audit financier par un conseil extérieur permettait d'établir des comptes pro forma du groupe pour les seules activités conservées. Le développement du nouvel ensemble nécessitant de trouver des financements stables, et après une recherche infructueuse auprès de divers partenaires potentiels, la société s'est adressée à la BPI, qui l'a orientée vers le compartiment NOVO 2, mais des doutes subsistaient, au vu de la documentation présentée, sur la faisabilité de son intervention.  Le premier contact avec TIKEHAU a eu lieu fin octobre 2014 : l'affaire ne semblait en effet pas correspondre aux critères d'intervention de NOVO 2. Un travail en commun a cependant permis de définir des covenants adaptés à la situation particulière du groupe, et une première "term sheet" consacrant l'accord du comité d'investissement du fonds sur la base de ces covenants a été reçue en janvier 2014 : le montant accordé de 40 millions d'euros, et la maturité de sept ans correspondaient certes aux besoins de l'entreprise ; le taux proposé était certes supérieur à ce qu'aurait espéré le groupe, mais il était néanmoins acceptable. En revanche, les garanties demandées, en particulier le nantissement de la totalité des titres des filiales, n'étaient pas acceptables en l'état. Un nouvel échange a permis de trouver un compromis sur ce point, et le contrat a pu être signé le 3 février : le financement est sous forme d'emprunt obligataire, d'une durée de six ans et demi, remboursable in fine. Pour marquer le partenariat ainsi créé avec TIKEHAU, celle-ci est entrée au conseil de surveillance du groupe. Avoir obtenu le "label NOVO" permet au groupe d'être considéré par son environnement sous un jour nouveau. Parallèlement, des réflexes nouveaux de communication financière ont été développés. Et les moyens financiers obtenus permettent d'envisager sereinement le développement du groupe.

Le débat qui a suivi ces présentations a permis de mettre en évidence certaines particularités de ces types de financements. Ainsi, le taux d'intérêt qui se situait en général entre 4 et 7% a vu sa fourchette se réduire à 3 à 7%, suite au lancement du "quantitative easing" de la Banque Centrale Européenne : le prêt obtenu par Deloitte est autour de 3% ; plus récemment, Bel a émis à 2,9% ; en fait, les assureurs souhaitant être rémunérés à hauteur du risque pris, ont tendance à tirer vers le haut le taux de leur rémunération. La notation implicite des emprunteurs concernés se situent entre BBB- et BB+ : en deçà, les candidates sortent du spectre acceptable par le fonds NOVO, et c'est vers les investisseurs spécialisé en "private equity" qu'elles devraient se tourner.
En cas de financement conjoint, la relation entre banquier et assureur peut parfois devenir conflictuelle, en particulier, lorsque la notation implicite établie par l'un et l'autre ne coïncide pas. Lorsque le banquier refuse de communiquer sa notation interne à l'assureur, la manière de résoudre la difficulté est, pour l'assureur, de proposer un prix, et voir comment il est reçu par les autres participants. Un autre moyen, employé récemment, est de convenir que l'assureur bénéficiera "pari passu" des mêmes conditions que celles obtenues par le banquier. Quant à la pérennité du développement des financements "désintermédiés", il est indiqué que ceux-ci ont représenté 38% des montants totaux octroyés en 2013, contre 26% en 2008 : si l'on se réfère à l'exemple des Etats-Unis, ce type de financement a un large avenir.
Enfin, il a été précisé que le fonds NOVO n'octroie en principe que des prêts séniors, même si le fonds a, dans un cas particulier, participé à un  co-financement par prêt mezzanine à taux variable.

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