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Conf Nouvelles formes de financements, le 19 sept 2012

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Pourquoi et comment les PME/ETI peuvent-elles aller vers de nouvelles sources de financement ? Débat organisé le 19 septembre 2012, par le Groupement HEC Finance d’entreprise chez Cabinet Clifford Chance

Thomas Salvadori, membre du Bureau du Groupement et modérateur de ce premier débat sur le sujet, consacré plus particulièrement aux Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI)[1], avait réuni autour de lui Caroline Weber, directrice générale de l’Association Middlenext, Frédérick Lacroix, avocat associé, responsable de la pratique Financial Services du cabinet Clifford Chance, Bruno Dathis, directeur administratif et financier du groupe SAFT, et Thierry Schmidt de la Brélie, directeur administratif et financier du groupe Touax.

En ouverture du débat, Thomas Salvadori a relevé que le crédit bancaire classique devient de moins en moins accessible aux ETI en raison des contraintes imposées aux banques par la mise en œuvre de la régulation Bâle III. Parallèlement le marché primaire obligataire leur est d’accès difficile, et celui des capitaux propres pratiquement fermé : la Bourse ne joue plus en effet son rôle d’apporteur de capitaux, comme l’a mis en évidence le Rapport récemment établi par MM. Gérard Rameix et Thierry Giami (878 sociétés cotées à Paris en 1978, 794 en 2001, 688 en 2010…).

Sur ce dernier point, Caroline Weber a fourni plusieurs explications. Son association, Middlenext, qui regroupe 150 entreprises adhérentes et se consacre à leur représentation auprès des différents acteurs du monde financier et mène diverses études sur le sujet de leur financement, a observé que l’apparente inanité de la Bourse a fait l’objet ces dernières années de quatre rapports officiels (dont le dernier émanant de Gérard Rameix comme précité). Mais, ceci sans résultat véritable, du moins en ce qui concerne les trois premiers.

Le fait que notre Bourse nationale soit passée sous le contrôle de celle de New-York peut expliquer le peu d’enthousiasme qu’elle manifeste pour l’admission à la cote de sociétés nouvelles de taille moyenne : ainsi, il n’y a plus, au sein de NYSE-Euronext, que 3 agents chargés de la prospection sur le terrain, là où il y en avait autrefois 60 ! En parallèle l’opérateur de bourse a augmenté (plus que triplé) les tarifs de courtage des valeurs moyennes pour les brokers, qui ont, en conséquence, de plus en plus tendance à s’écarter de ce marché. Et les analystes spécialisés en valeurs petites et moyennes ont presque disparu. Egalement, les coûts de documentation et de cotation ont littéralement explosé : un prospectus de cotation (300 pages aujourd’hui en moyenne, contre 40 dans le passé) revient désormais à près d’un million d’euros ;
le coût complet de cotation pour une valeur moyenne est passé de 200 000 francs par an autrefois à 600 000 euros aujourd’hui.

Les exemples étrangers montrent pourtant qu’il est possible de faire fonctionner de manière rentable des marchés boursiers consacrés à de telles valeurs. En Allemagne, les cinq bourses régionales sont actives et bénéficiaires. Il y a aujourd’hui plus de 80 personnes sur le terrain pour accompagner les valeurs moyennes. En Finlande, la bourse d’Helsinki, confrontée à la concurrence très vive du NASDAQ, qui a établi sa tête de pont européenne dans ce pays, a monté une joint-venture avec la bourse de Stuttgart pour coter les petites et moyennes valeurs finlandaises.

En fait, pour remédier à cette situation, il s’agirait d’alléger les procédures d’accès au marché pour ces valeurs. Il faudrait également inciter les compagnies d’assurance à changer d’état d’esprit : 1% de l’encours des réserves mathématiques de l’Assurance-vie suffirait à satisfaire les besoins de fonds propres de ces entreprises. Et la création d’un PEA consacré à l’investissement dans les ETI pourrait compléter harmonieusement cet ensemble de mesures.

A l’appui, Caroline Weber cite la mise en place en cours de Micado France 2018 (« Micado »), un Fonds commun de placement dédié aux ETI, créé à l’instigation de Middlenext, Accola et Investeam : les frais d’avocat et de brokers sont ainsi mutualisés, mais chaque société participante conserve sa propre note de crédit ; les financements obtenus par ce moyen devraient avoir une durée de 6 ans, et les charges d’intérêt se situer entre 4 et 6%. Elle mentionne aussi l’existence de l’indice GAIA, construit à partir des données communiquées par 250 sociétés, dont 80 ont des performances financières qui surclassent celles du CAC 40. Sans omettre la possibilité de faire renaître les emprunts groupés de jadis.

Pour sa part, Frédérick Lacroix reconnait effectivement l’alourdissement des règlementations. Les textes européens (Directives Prospectus, Transparence, MIF, toutes les trois, de surcroit, en cours de révision), constituent un faisceau de contraintes extrêmement lourdes.
Les régulations Bâle III, pour les banques, et Solvabilité II pour les assureurs vont conduire les unes et les autres à réduire drastiquement leurs interventions en faveur des ETI (les banques en termes de crédits, et les assureurs en actions). Mais le discours sur la titrisation, si décriée depuis la crise des sub-primes et le "shadow banking", commence à évoluer : Micado est peut-être un précurseur de cette évolution ; à terme, à côté du marché obligataire traditionnel plutôt adapté aux grands émetteurs, on voit émerger des fonds de dettes, certes d'abord dédiés aux financements immobiliers et d'infrastructures (Axa CRE1, Natixis AM/AEW SELF,
etc.) mais plusieurs projets de création de fonds dédiés aux dettes des ETI et PME sont actuellement en cours, ainsi qu'un marché de dettes « repackagées », dans le cadre de la résurgence et la généralisation du modèle "originate to distribute" au sein des banques ; et puis, on peut espérer voir se développer des techniques de prêts obligataires directs souscrits par un ou plusieurs investisseurs non bancaires, à l’instar de ce qui se pratique déjà en Allemagne avec les Schuldschein.

Présentant l’expérience de SAFT sur le marché du Private Placement aux Etats-Unis (l’USPP), Bruno Dathis, explique que sa société, cotée depuis 2005, a un fort endettement. Le refinancement de sa dette, en février 2009, avait été opéré sous forme de crédits bancaires : l’opération, d’un montant total de 330 millions d’€ (dont 240 millions de $) avait été longue et plus difficile à monter que par le passé, le financement obtenu cher (notamment en terme de commissions), et d’une maturité
réduite à trois ans. Ce qui a incité la société à diversifier ses sources de financement, en recherchant des maturités plus longues, et avec des concours exprimés en $ (80% du chiffre d’affaires est en effet réalisé à l’exportation).

Le processus de l’émission en USPP s’est déroulé sur trois mois. Les quatre à six premières semaines ont été consacrées à l’élaboration de la documentation. Ici, deux surprises : aucune donnée prévisionnelle n’avait besoin d’être fournie dans le « Private Placement Memorandum » destiné aux assureurs et investisseurs professionnels sollicités ; et le contrat d’émission est standardisé, laissant peu de place à la négociation des termes (prise en charge par les avocats des deux parties, intervention directe de l’émetteur). Le troisième document, la note de présentation, sert de support aux Road-Shows : ces séances de présentation aux investisseurs se sont déroulées aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne (à destination, en particulier, de filiales britanniques d’assureurs américains) et en France ; aux Etats-Unis, 7 villes ont ainsi été visitées, et 35 investisseurs rencontrés en trois jours.

Dix des investisseurs rencontrés ont proposé de souscrire, pour des « tickets » entre 10 et 75 millions de $ chacun, à des prix exprimés en marge par rapport au taux des Treasuries de durée équivalente. Au total, le montant proposé était bien supérieur aux 100 millions de $ visés par SAFT (50 millions à 7 ans et 50 millions à 10 ans).

Après négociation, les taux ont été fixés à 4,26% pour la tranche à 7 ans (300 points de base au-dessus des Treasuries), et 4,73% pour celle à 10 ans (290 points de base au-dessus des Treasuries). Les coûts d’émission ont été de 0,65%, SAFT ayant choisi de recourir aux conseils de trois banques. Aucune notation à l’initiative de l’émetteur n’a été nécessaire : la seule notation requise, celle de la National Association of Insurance Companies (NAIC), est établie à la demande des assureurs souscripteurs eux-mêmes (celle-ci intervient huit à douze mois après l’émission).
Certes, les titres émis ne sont pas contractuellement remboursables par anticipation, et une renégociation des termes du contrat serait très coûteuse.
Mais en définitive, l’opération n’aura guère été plus compliquée à réaliser qu’un refinancement bancaire. Et puis, SAFT s’est ainsi dotée d’une base élargie d’investisseurs à long terme.

L’expérience de Touax décrite par Thierry Schmidt de la Brelie, est précisément celle d’un participant au fonds Micado évoqué plus tôt par Caroline Weber. Touax réalise 300 millions d’€ de chiffre d’affaires. Son activité, la location et la vente de matériels (respectivement 200 et 100 millions d’€ de chiffre d’affaires-conteneurs maritimes, constructions modulaires, wagons fret, barges fluviales), est très consommatrice de financements longs : le parc se monte à quelque 1,5 milliards d’€, et la société a connu ces dernières années une croissance importante, fondée sur une moyenne de 50 millions d’€ d’investissements par an.

Les actions Touax sont cotées en bourse depuis 1906, et la société a procédé à des émissions d’actions en 2004, 2007, 2008 et 2009. Compte tenu de la baisse des cours de l’action, la capitalisation de la société est aujourd’hui de moins de 150 millions d’€, et la liquidité du titre est trop faible pour envisager de nouvelles opérations de l’espèce.

La plus grande partie des dettes (300 millions d’€ au total) est de type bancaire bilatérale, bilatérale collatéralisée, ou syndiquée (collatéralisée ou non). La société a également émis des Obligations à Bons de Souscription d’Actions Remboursables (OBSAR) sous forme de « club deal ». Certains matériels destinés à la location sont aussi financés en leasing, d’autres font l’objet de contrats de portage par des investisseurs.

En matière de désintermédiation, Touax avait réalisé une première expérience en obtenant d’un investisseur non bancaire 22 millions de $ destinés à financer des actifs sud-américains.

Cependant, depuis la crise, la société est confrontée à une diminution des maturités proposées pour ses types de financements habituels, à la hausse des coûts de liquidité bancaire, à la pénurie de dollars subie par les banques européennes : cet ensemble de facteurs risquait de renchérir sensiblement les coûts de financement (jusqu’alors 3,75% en moyenne) ; à titre indicatif, une émission obligataire de 200 millions d’€ lui avait été proposée avec un taux prévisible de 9% l’an (outre le fait que Touax ne cherchait pas à lever plus de 50 millions d’€). Et, l’émission de titres de type obligations convertibles ou océanes aurait posé un problème de dilution des actionnaires existants.

Le projet Micado, en groupant en une même souche de 300 millions d’€ des emprunteurs de montants individuels de 10 à 50 millions d’€, a constitué une solution appropriée. Même si le délai de réalisation a été considérablement long (selon Caroline Weber le prospectus déposé à l’AMF en mai, n’a obtenu son visa qu’en février de l’année suivante), l’émission permet d’obtenir des financements à six ans, sans notation ni « covenants », à un coût « all-in » entre 5 et 7 %.

Concluant ces exposés, Frédérick Lacroix a insisté sur la nécessité d’exploiter tous les segments possibles de marché.
L’USPP se compare en fait au Schuldschein allemand, bien qu’à la différence du premier, le second ne nécessite pas d’agent de l’émission (dans le cas de l’USPP, l’agent assure l’unicité du contrat et l’uniformité des clauses qu’il comporte) : chaque souscripteur du Schuldschein (en général des assureurs ou des caisses d’épargne) est à aborder distinctement, et les termes de la tranche à laquelle il souscrit à mettre au point en fonction de ses desiderata ; des clauses de remboursement anticipé au gré de l’emprunteur peuvent théoriquement être stipulées avec certains souscripteurs, bien qu’en général ceux-ci sont plutôt de type « Buy and Hold ». Micado peut constituer une voie supplémentaire de diversification.

 

A noter que, dans le monde de l’assurance, la transition de Solvabilité I à Solvabilité II risque de constituer une entrave supplémentaire au développement des fonds de dettes : dans le cadre de Solvabilité I, les fonds de dettes créés jusqu'à présent rentrent au mieux dans le fameux « ratio poubelle », à défaut d'un traitement plus optimisant (par exemple au travers de l'émission d'obligations cotées sur un marché réglementé par le fonds de dettes, ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent en raison de contraintes spécifiques posées par l'Autorité de Contrôle Prudentiel) ; avec Solvabilité II, dont l'entrée en vigueur est sans cesse repoussée (on parle à présent de 2015), la philosophie devrait être radicalement différente, car le projet de texte d'application (niveau 2) prévoit la possibilité de traiter par transparence l'investissement de l'assureur dans le fonds, ce qui rend la forme du fonds relativement indifférente, pour autant toutefois que ce dernier ne soit pas analysé comme un véhicule de titrisation au sens de la directive sur les fonds propres des banques. La nécessité de structurer des fonds compatibles avec les exigences de Solvabilité I et Solvabilité II durant cette période transitoire ne favorise actuellement donc pas la création d'un marché important des fonds de dettes placés auprès des assureurs.


Par Jack Aschehoug (H. 72)

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