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Atelier "CFO dans le board et face au board", avec HEC Gouvernance, le 10 septembre 2014 (01/01/2015)

Merci aux acteurs :

 

FINANCE D’ENTREPRISE / GOUVERNANCE & ADMINISTRATEURS

 

UN BOARD EN “LIVE” ENFIN DÉCRYPTÉ

Le 10 septembre, les Groupements Finance d’Entreprise et Gouvernance et Administrateurs ont mobilisé des HEC aguerris pour faire vivre une séance de CA “en live” : le CFO au board. Mise en situation avec le cas Extrudor et débrief par des experts.

Lorsqu’un CFO se retrouve face au Board – ou, parfois, membre du Board -, tout ne se déroule pas toujours comme il l’avait prévu… Pour être mieux préparé à comprendre ce qui se joue au sein d’un conseil d’administration, quoi de mieux que de pouvoir observer une séance et l’analyser ? Tel était l’objectif de l’atelier très interactif organisé conjointement par les deux groupements: reproduire le déroulement du “board” d’une entreprise au seuil d’un investissement stratégique; puis “débriefer” avec Bernard d’Oriano (E.82), chef d’entreprise, administrateur de plusieurs sociétés et psychothérapeute, et Ralph Goldet (EMLyon 92), concepteur de la mise en situation Extrudor, consultant senior spécialiste des aspects comportementaux et systémiques de gouvernance.

 

1. LE CAS...

Extrudor, PME spécialisée dans deux métiers : l’extrusion industrielle du maïs fourrage pour matériaux isolants dans la construction durable (69 % du CA) et la production de galettes de maïs soufflé bio (31 % du CA), réalise un CA consolidé de 55 M€. Elle a réparti sa production entre l’Aquitaine (80 %) et, depuis 2005, l’Ukraine (20 %) pour réduire son exposition aux risques de catastrophes climatiques – en 2004, la tempête Siegfried a fortement endommagé l’outil industriel français – et bénéficier d’un avantage concurrentiel. Si le marché de l’isolation durable est prometteur et celui des galettes bio stable mais toujours profitable, Extrudor doit évoluer : son brevet pour matériaux isolants va tomber dans le domaine public en 2015...

Pour développer ses parts de marché, la direction compte se tourner vers des distributeurs plus spécialisés que les GSB (grandes surfaces de bricolage) pour s’assurer une montée en gamme auprès des acteurs du secteur (entreprises de construction, artisans et prescripteurs). Le PDG a un plan d’investissement, et à cette occasion envisage de faire entrer au capital une société égyptienne. Le 10 septembre, accompagné de sa CFO, elle aussi membre du “board”, il doit exposer ce plan aux quatre autres membres du Conseil d’Administration, représentant respectivement : la Caisse Régionale Autonome de Crédit d’Aquitaine (CRACA), entrée en 1999 au capital à hauteur de 25 % à la suite d’une renégociation de la dette consécutive à une hausse significative du BFR ; le Fonds d’investissement stratégique (FIS) de la région Aquitaine, entré à hauteur de 5 % du capital dans le sillage de la CRACA ; le fonds Blaekash, entré à hauteur de 33 % du capital lors de l’investissement réalisé en Ukraine en 2005 et qui a manifesté l’intention, lors du précédent CA, de récupérer sa mise dès 2015, faute de rendement suffisant ; enfin, un administrateur indépendant, CFO en exercice de Bigue Construction, une ETI du secteur de la construction, de taille européenne, qui met en œuvre les panneaux isolants d’Extrudor.

 

2. LA SÉANCE DU BOARD...

PDG – Bonjour et merci d’être présents à ce Conseil. Comme vous le savez, notre brevet arrive à expiration en 2015, mais j’ai une bonne nouvelle : un autre brevet a déjà été déposé. Nous allons pouvoir conserver nos parts de marché et même en gagner de nouvelles car notre nouveau procédé est inédit, sans concurrence, et tourné vers le BtoB. Par ailleurs, la société Bigue Construction, dont notre nouvel administrateur est directeur financier, peut nous faire gagner de nouveaux clients en Europe Centrale, où elle est bien implantée.

Blaekash – Je tiens à rappeler que les actionnaires n’ont pas touché 1 euro de dividendes depuis 2005.

CFO – Certes, mais vous avez valorisé votre participation.

CRACA – Si le fonds Blaekash part, je vais me poser des questions sur ma participation...

CFO – Voici les grandes lignes du nouveau business plan : notre nouveau projet va nous ouvrir le marché BtoB dont les marges sont supérieures à celui du marché des GSB. En investissant 3,8 millions, dont 0,8 en R&D, sur notre site d’Ukraine, nous pouvons compter sur une augmentation rapide du CA et un pay-back dès 2020, soit quatre ans seulement après le début de l’exploitation.

FIS – L’Ukraine ? Mais le problème, c’est de faire grandir le site d’Aquitaine, de moderniser l’outil industriel et de réduire les accidents du travail !

PDG – Il n’est pas dans mes intentions de détruire un seul emploi en Aquitaine.

Blaekash – Bonne idée, l’Ukraine offre une rentabilité supérieure !

Bigue C. – Et elle est proche du principal marché qui est en Europe Centrale.

FIS – Nous sommes entrés au capital pour aider une structure en Aquitaine, pas pour investir en Ukraine.

PDG – Revenons à la stratégie : nos effectifs sont à 80 % en France mais nous devons nous diversifier pour pérenniser ces emplois. Nous avons déjà failli tout perdre faute de diversification.

CRACA – Comment se fait-il que je découvre seulement maintenant ce nouveau procédé ? Et c’est aussi un changement complet de mode de distribution !

CFO – Qui permet un investissement plus faible.

Bigue C.  – Nous connaissons bien les circuits de distribution d’Europe Centrale.

Blaekash – Cela fait neuf ans que nous sommes entrés dans votre capital or nos attentes de TRI étaient fixées à 15 %... Comment allez-vous nous rembourser ?

PDG – Nous avons approché des investisseurs potentiels pour développer le marché. Nous sommes en discussion avec un industriel égyptien qui veut entrer sur le marché européen. Des synergies sont possibles.

CFO (se tournant vers Blaekash) – Ce projet de développement va valoriser votre participation !

Blaekash – L’Égypte est actuellement sous embargo ! Cela peut entacher notre réputation...

CFO – La pérennité est un but commun à nos deux sociétés.

FIS – L’emploi en Aquitaine va-t-il être menacé ?

Blaekash – Quel est le calendrier ?

CFO – Ne vous ai-je pas toujours donné des chiffres fiables ? Pour l’heure, nous devons nous concentrer sur la stratégie ! En 2015 expire le brevet qui sous-tend 40 millions de CA sur un total de 56. Avec ce projet, nous pérennisons l’entreprise et nous pourrons discuter de la sortie de Blaekash.

CRACA – Attention à la trésorerie... Votre BFR est déjà en train d’exploser ! Cette opération va mobiliser des fonds supérieurs, or je ne suis pas sûr de pouvoir vous suivre...

Blaekash – C’est un point effectivement très important. Vous consommez 60 % de la trésorerie alors que vous ne faites qu’un tiers du CA prévu !

CFO – Ces aléas de BFR sont précisément liés à la saisonnalité des achats de maïs. Sur le marché BtoB, nous aurons des clients toute l’année, ce qui n’est pas le cas sur le marché de la grande distribution.

PDG – Deux remarques. Il y aura certes une cannibalisation du marché car le brevet arrive à expiration en 2015, mais nous devons démarrer dès maintenant la nouvelle chaîne de production.

FIS – Et pourquoi ne pas créer une technopole dédiée au maïs en Aquitaine ?

PDG – Nous allons donc augmenter la production en Ukraine puis reconvertir l’outil industriel en Aquitaine.

Bigue C. – Au vu du TRI, bien supérieur à l’actuel, l’investissement paraît raisonnable.

CFO – Tout à fait. Avec un TRI à 28 %, cet investissement va booster la valeur des participations.

Blaekash – Je veux des chiffres : combien vaut cet investissement ? Si je n’ai pas de garantie de TRI, je ferai jouer ma minorité de blocage.

CFO – Ah... L’éternel gap entre l’entrepreneur et le banquier...

Interruption de la mise en situation pour passer au “débriefing”.

 

3. LE “DÉBRIEFING”

Invité à commenter le Conseil auquel il a assisté, le public a notamment souligné le “manque de ligne directrice”, l’absence de données partagées et de recherche de consensus. L’un des spectateurs, avocat américain, était frappé de voir chaque membre du Board se faire le représentant de ses seuls intérêts, au détriment de celui, global, de l’entreprise. D’autres se sont étonnés du “mélange des genres” : comment une même séance pouvait-elle traiter un sujet opérationnel et un autre lié à la sortie d’un actionnaire ?

En partant de la “mise en situation” construite par Ralph Goldet en partant de situations bien réelles, Bernard d’Oriano (E.82) a expliqué l’absence de consensus de ce CA par une cause essentielle : “Le contenu et le processus doivent être distingués, ce qui n’était pas le cas lors du conseil d’Extrudor ! Et naturellement, la frustration n’a fait que croître à mesure que le processus avançait.” Et Bernard d’Oriano de souligner que le représentant de Blaekash a d’emblée attaqué la position du PDG, générant aussitôt du stress, et que le PDG, même s’il a tenté de manipuler le CA, n’a jamais pu se départir d’une forme d’embarras : “C’est avant tout un promoteur, mais, là encore, c’est une source de stress pour les autres.”

Et la CFO ? “Elle apporte certes du raisonnement, des valeurs et des principes, tente d’ordonnancer les priorités et de faire des propositions, mais cela tient d’abord à sa personnalité et pas à sa fonction. Elle a tenté, à un moment, d’établir cette cohésion si désirée en faisant appel à des sentiments positifs, en jouant sur l’empathie, mais sans grand succès...”  Pas évident    d’être CFO et membre du board, rappelle Bernard d’Oriano : “Le CFO est la personne qui maîtrise les chiffres, or c’est un générateur de stress car cela peut mettre en porte-à-faux les autres membres du board.” Un point sur lequel revient Ralph Goldet, conseil spécialiste des aspects comportementaux et systémiques du CA : “La CFO a bien investi le rôle de celle qui veut réguler la réunion et elle a rappelé à plusieurs reprises que la stratégie était le point-clé de ce board. Mais c’est précisément le plus grand problème des CA que celui-là : énoncer collectivement une stratégie !”

À travers le représentant du FSI, c’est une figure “rebelle” qu’il faut voir, estime Bernard d’Oriano, tandis que le représentant de Blaekash, faute de réponse à ses demandes, finit par entrer en croisade. Quant à l’administrateur indépendant issu de Bigue Construction, faute de légitimité, il ne peut que dissimuler son embarras derrière une demande de chiffres...

Après le diagnostic, le “remède”...

Comment faire pour enrayer un processus aussi délétère ? “Il faut séparer le contenu, autrement dit les chiffres, du relationnel !” assure Bernard d’Oriano. Petit rappel : 93 % de la communication passe par le non-verbal... “Tout comme dans les vrais conseils, des blocs se sont formés durant cette mise en situation, rappelle Ralph Goldet. Par ailleurs, tout le monde a parlé en même temps, ce qui détruit de la valeur ajoutée en faisant monter la tension.”

“Les besoins psychologiques de l’être humain exigent des canaux de communication différents, rappelle Bernard d’Oriano. Il y a des CA admirablement organisés qui n’aboutissent à aucun consensus. Le point-clé, c’est que le CA n’est pas un groupe comme un autre car il réunit des personnes qui ont des origines et des cultures différentes, ce qui induit des conflits d’intérêts et des enjeux différents.”

Le consensus n’est pas pour autant impossible à atteindre. “Il faut adopter une posture adulte, explique Bernard d’Oriano. S’adapter au type de personnalité de l’autre afin de lui éviter le stress qui va bloquer la relation.” Comme le propose la psychologie, les êtres humains agissent toujours pour satisfaire des besoins psychologiques. En adaptant son action à ces demandes, il devient possible d’obtenir un résultat optimal. Or quels sont ces besoins ? “Il y en a trois, explique Bernard d’Oriano. Le premier est la “structure”, c’est-à-dire le besoin de savoir où je suis et ce que je suis par rapport aux autres. Le second besoin est la reconnaissance, autrement dit : me reconnaît-on pour ce que je suis ? Enfin, le troisième besoin est la stimulation, qui demande d’être intégrée à une action commune ou de recevoir des instructions pour agir.” Attention, toutefois : ces trois besoins ne peuvent être satisfaits que par ordre croissant ! Quelle conclusion en tirer ? “Que chaque membre d’un CA a l’un de ces trois besoins à satisfaire, ou plusieurs. Toute la difficulté consiste à les repérer et à agir en conséquence.”

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