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Cycle JP Betbèze, impacts RH, le 13 juin 2013 (31/12/2014)

Le groupement HEC Finance d’entreprise, fort de 1000 membres, et le cabinet Salans Dentons recevaient le 13 juin en les locaux de Salans une conférence Petit Déjeuner Economie et Conjoncture, avec la participation de Jean Paul Betbèze et Françoise Gri sur le thème « Acte 3 de la crise de la zone Euro, Quels sont les effets prévisibles sur la gestion des hommes dans l'entreprise et quel rôle doit être celui des ressources humaines ».

La thématique de la crise continue de s’imposer, cependant l’enjeu devient social et Françoise Gri de par son expérience de l’entreprise et des thèmes sociaux et de ressources humaines allait donc être notre invitée de prestige.

Sylvie Bretones, présidente du groupement HEC FE présentait le débat et 2 intervenants de conviction, débat qui promettait donc d’être passionnant.

Jean-Paul Betbèze évoquait tout d’abord la situation économique actuelle avec une crise de dette pesant sur la plupart des économies mondiales et particulièrement en Europe. Ce type de crise a 5 variables d’ajustement :

1 - baisser les Taux d’intérêts à court terme autant que possible ;

2 - baisser les taux d’intérêts à long terme ;

3 - faire baisser le cours de sa devise (ce que font les E-U avec le Dollar) ;

4 - faire baisser le coût de l’énergie (ce que font les E-U avec le gaz de schiste) ;

5 - baisser les coûts salariaux.

Les 5 remèdes ont été appliqués par les E-U, mais ne le sont que peu ou pas en Europe :

1 - Seulement depuis quelques semaines ;

2 – Oui, surtout en Allemagne. Mais les taux du sud de l’Europe restent élevés, alors que la France bénéficie encore d’un taux privilégié. L’action de Mario Draghi a été prépondérante dans le retour des taux du sud à des niveaux plus acceptables.

3 - L’Euro n’a pas baissé, car les Américains ont fait baisser le dollar pour rééquilibrer le change de leur devise avec la monnaie chinoise, ce qui se passe très lentement. L’Euro subit a contrario un fort ajustement.

4 – Les énergies restent chères en France et en Europe.

5 - Reste la variable d’ajustement sur les salaires, sous des formes différentes selon les pays. Si les Européens et notamment les  Français ne travaillent pas sur les autres variables, l’ajustement devra se faire sur les salaires.

Nous sommes effectivement dans cette phase aujourd’hui avec une baisse du pouvoir d’achat en France constante depuis 2012, un chômage qui progresse, des jeunes de moins de 25 ans qui entrent sur le marché du travail avec des salaires globalement plus bas que leurs prédécesseurs et un premier CDI seulement vers 27 ans. De plus, les personnes âgées de plus de 55 ans sont aussi en dehors du marché du travail. La consommation se tasse donc et le taux d'épargne reste élevé.

En résumé, nous avons :

1)    Une croissance française à zéro. La production industrielle a un peu monté pour des raisons de stockage, mais le moral des entrepreneurs et des particuliers n’est pas là. Les 2% de croissance dans 2 ans semblent plus hypothétiques que jamais.

2)    Un ajustement salarial avec des problèmes sociaux.

L’honneur revenait donc à Françoise Gri de guider les auditeurs présents sur le sujet de l’évolution du marché du travail, un sujet lui tenant particulièrement à cœur.

« Ce n’est pas la crise qui créé la situation de ce marché du travail, elle l’accélère ».

Tendances de fond :

- L’évolution démographique : une population active qui baisse en Europe alors qu’elle augmente aux E-U.

- Des révolutions technologiques accélérées par la crise : l’impact du numérique sur l’activité pèse de plus en plus et le « talent mismatch » s’accroît : les recruteurs ne trouvent pas les compétences qu’ils recherchent alors que le taux de chômage est au plus haut en France.

- Ce marché du travail va exiger de plus en plus de compétences : ceux qui sont qualifiés vont s’en sortir, alors que les non qualifiés resteront sur le côté du chemin, d’où un problème social.

En temps de crise, on a tendance à ne regarder que la crise alors que les remèdes doivent être trouvés sur des facteurs de plus long terme : le court termisme s’impose, alors que long termisme serait nécessaire.

Ces tendances se retrouvent partout dans le monde et surtout en Europe. La situation de la  France est très particulière, car son marché du travail comporte des défauts depuis longtemps.

C’est un marché rigide, mais qui s’est adapté, d’où une étonnante dualité. Avec des seniors qui travaillent dans des grandes entreprises principalement et qui sont plus protégés que les autres catégories ; et un taux de chômage beaucoup plus élevé chez les jeunes.

Cette crise accroît également la difficulté à s’adapter aux nouvelles donnes. L’ajustement des salaires se fait de façon très injuste : les jeunes n’accèdent à un CDI qu’à 27 ans avec des rémunérations moins élevées et un pouvoir d’investissement limité pour « s’installer dans la vie ».

Le marché du travail est bloqué, il est donc difficile de détecter les moyens d’un rebond.

De plus, une étude récente montre que les employés français sont les moins motivés d’Europe. Pires que les Espagnols et les Italiens !

Paradoxalement, 58% de ces collaborateurs non motivés n’envisagent pas de quitter l’entreprise. Ces Français se sentent donc coincés dans un poste qu’ils ne peuvent quitter et n’espèrent pas mieux demain : notre pays n’est donc pas armé pour le monde de demain, les nouveaux talents ne sont pas intégrés et les employés se sentent « coincés ».

Une des causes de cette situation est la façon dont nous manageons au sein des entreprises. D’une façon dure générée par ce marché du travail rigide qui se résume à une gestion par les coûts, avec une population de sous-traitants vivant à la périphérie des entreprises.

Par ailleurs, les marges en France sont sous pression et la marge de manœuvre des entreprises est réduite. Le management quotidien ne peut donc aider à la motivation des collaborateurs.

Ceci se retrouve aussi au niveau des DRH. Aujourd’hui, leurs sujets essentiels sont l’adaptation des coûts et la gestion de l’emploi.

Il est difficile de mesurer la durée d’une telle période, mais les tensions se cristalliseront lors de la sortie de crise car le pouvoir d’achat perdu ne reviendra probablement jamais.

Les entreprises ont quand même un certain nombre d’actions possibles :

1) Accompagner les collaborateurs et aider les managers à accompagner leurs collaborateurs. C’est un sujet critique, surtout en cette période. Les managers doivent avoir leurs collaborateurs « avec eux ».

Ces dernières années, le top management a regardé la situation au sein de l’entreprise d’un peu loin et les managers de proximité ont été délaissés. Les accompagner est crucial dans cet environnement de crise, car ils ont du mal à relayer l’objectif de l’entreprise.

2) Développer l’employabilité pour demain. C’est un enjeu majeur des relations sociales au sein de l’entreprise et plus globalement pour les partenaires sociaux sur le marché du travail. Il est temps de reprendre sérieusement le sujet de la GPEC (Gestion Prévisionnelle de l'Emploi et des Compétences) qui a été dramatiquement édulcorée et qui est utilisée aujourd’hui pour préparer un PSE.

3) Politique salariale : elle ne peut être prometteuse, il faut donc trouver des « goodies », des petites choses qui montrent qu’on a de l’attention et de l’empathie. Ces mots accompagnent la performance de l’entreprise et ne sont pas des mots « bisounours ».

On ne peut de toute façon pas faire ces transformations contre ses collaborateurs et le marché du travail, car on en a besoin pour générer de la richesse dans l’entreprise.

Les fonds de formation sont gérés de manière totalement inefficace aujourd’hui et ne permettent pas de gérer cette transformation, car ils sont gérés en intra-entreprise et ne crééent pas les ponts entre les besoins d’aujourd’hui et ceux de demain. La notion anglo-saxonne de Workforce management (gestion de l’emploi, des compétences, de la motivation) est critique pour la gestion des entreprises dans ce monde qui change de façon extrêmement profonde.

L’auditoire a pu ensuite adresser des questions à nos deux intervenants :

Question sur le syndrome du contremaître et le problème du management de proximité : quels sont les avantages personnels à prendre des risques et à manager lorsque l’échelle des salaries dans les 1er échelons est réduite du fait du SMIC ?

Le blocage ne date pas d’aujourd’hui et il n’existe pas vraiment de solution, mais la difficulté s’est accrue du fait de la crise et de la gestion de collaborateurs de plus en plus externes à la société comme les intérimaires.

De plus, ces managers ont été totalement ignorés des politiques de formation, or ils sont les plus au contact des tensions internes au sein de l’entreprise. Il faut donc les aider, alors que peu d’entreprises ont aujourd’hui des plans de formation, d’accompagnement de ces managers.

Concernant « les » SMIC : c’est un vrai et énorme sujet pour la France. Il est inadapté du fait de la tertiarisation de l'économie. C’est en effet dans les services qu’on va trouver des emplois qui sont par définition encore plus dépendants du coût des équipes. De ce fait, la France ne montre pas l’exemple : pratiques incorrectes sur gestion de l’emploi, pression terrible sur collaborateurs, développment d’une sous-traitance qui ne respecte pas le droit. Le SMIC est donc un vrai problème sur le marché du travail en France qu’il faudra traiter.

Ce sera cependant difficile car c’est un sujet assez caricatural de la pseudo-protection de notre marché du travail et même si financièrement des moyens de changer existent, et non au détriment du salarié, la barrière administrative sera très difficile à surmonter.

Question sur les partenaires sociaux : les syndicats en France sont contestataires et non de service pour les salariés. Quelles solutions pour progresser ?

Il y a un gros problème du syndicalisme à la française qui représente essentiellement les salariés des grandes entreprises et les fonctionnaires par contradiction avec le syndicalisme des pays nordiques qui est un syndicalisme de service. Le dialogue social ne fonctionne pas et dans les mois qui viennent ce sera critique !

La seule façon à court-terme de traiter ces tensions est de trouver des gens de bonne volonté de part et d’autre de la fracture qui s’est créée et qui regardent à long-terme.

C’est le cas de la CFDT qui est capable d’accompagner ces sujets avec un engagement profond et courageux. Notamment sur les sujets de la précarité du travail. Il faut absolument que le MEDEF ne parle pas que de fiscalité et tende également la main, et trouve un terrain de travail avec la CFDT. La voie est étroite !

Question sur le passage d’une société de protection à une société du risque, avec toutefois une vision du salarié inchangée (salarié co-investisseur de fait de l'entreprise).

Il faut renouveler ce contrat (salarié associé au risque, mais pas rémunéré comme tel). C’est ce que font les anglais en n’ayant pas peur d’aller chercher mieux « ailleurs ». Il faut un contrat par projet (win-win) car c’est ce que scrutent les jeunes collaborateurs maintenant.

Il va falloir accepter que la seule façon de gagner dans le monde du travail d’aujourd’hui, c’est de passer d’entreprise en entreprise. Pour les entreprises, ce n’est pas agréable d’investir sur des personnes qui vont les quitter, mais il faut l’accepter.

Par ailleurs, les récents changements de fiscalité sur le forfait social (PEE et autres) sont défavorables, inutiles et à contre-sens de ce qu’il faudrait faire.

Question sur l’échelle des salaires et les 1er échelons dans l’entreprise : on a l’impression que l’ascenseur social a été cassé en France, notamment avec les 35h. Vous ressentez cette tension potentielle et comment gérer cette absence d’evolution ?

Dans les grandes organisations, les tensions sociales sont vécues comme au sein de la Société avec un étirement manifeste entre collaborateurs « productifs » et cadres.

Ce qui est le plus destructif, c’est la perception par les seniors d’un problème d’ascenseur social pour leurs enfants. Ils sont prêts à faire des efforts pour ceux-ci et ils aideraient à passer cette période s’ils avaient le sentiment que leurs enfants ne seraient pas plus déclassés dans le monde de demain. C’est un problème très grave pour la société française car il augmente encore le sentiment d'angoisse ambiant.

Nous avons créé une société qui n’intègre plus. C’est un signal faible extrêmement destructeur de la société française.

De plus la France subit un problème de « fracture numérique »: selon le niveau de qualification, la capacité d’utilisation des nouvelles technologies est très différente. Dans la réalité, les jeunes ne s’en sortent pas tous très bien et il est impératif que l’école s’empare de ce sujet.

Question sur le management : beaucoup de managers n’ont plus envie de l’être (départs à l’étranger, évolution vers le coaching, etc…).

On est au début de ce phénomène de fuite avec un accroissement des jeunes qui quittent le pays. Toutefois, on incite nos jeunes à avoir des expériences à l’extérieur et c’est très bien pour la France et son industrie.

Il faut juste les inciter à revenir, et pour cela investir, ne pas créer de problèmes fiscaux, éviter la morosité ambiante, le négativisme. Il faut donner envie à ces jeunes de se battre pour la France et leur montrer qu’il y a des choses à faire en France !

Question sur l’emploi : démotivation des créateurs d’entreprises, freins au changement. Le seule moyen est-il que la crise se durcisse pour que cela bouge ?

Pour que les entreprises grandissent, il faut que la fiscalité française change sur l’ISF. Un auditeur donne l’exemple de Taittinger qui s’est épuisée à payer des dividendes pour que ses actionnaires puissent payer leurs ISF.

Françoise Gri parle ensuite de son évolution récente et du pourquoi de ce changement.

Le premier choix était de passer d’un groupe américain à une entreprise française de taille moyenne en difficulté. Projet un peu improbable, mais avec un challenge supplémentaire et passionnant !

C’est une entreprise bouleversée par le numérique. Sa relation avec le client est totalement transformée par le numérique. Cette transformation tout azimut a nécessité de mobiliser toute la population de l’entreprise. La révolution numérique peut détruire, mais elle peut aussi être un extraordinaire vecteur de motivation pour accompagner le changement dans l’entreprise.

 

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